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fraternité - Page 4

  • Dialogues tous azimuths

    Autour de moi, beaucoup de propos sont noirs, archi-noirs: tout va mal, et ira de plus en plus mal. C'est presque de bon ton que de confirmer le pessimisme ambiant en affichant une mine aussi grise que possible. Mais cela est-il justifié? Dans l'actualité, il y a aussi des signes très positifs. Par exemple, le 1er septembre dernier, la Turquie et l'Arménie, deux pays en froid depuis le génocide arménien, ont rendu public une "feuille de route" sur l'établissement de relations diplomatiques et sur le développement de relations bilatérales. Et l'édition de demain du Journal Le monde annonce à la une que "Les Etats Unis et l'Iran vont amorcer un dialogue". Pourtant, dans les deux cas, la situation semblait bien loin de l'apaisment et d'un dialogue renoué. Alors, n'y aurait-il pas aussi des raisons d'espérer? Est ce vraiment naïf que de refuser la morosité et le péssimisme?  je crois que non, et je suis déterminée à lutter contre cette mode de la noirceur. Non par naïveté. Non par imbécilité. Non pas parce que je voudrais lutter contre les effets de mode, histoire de faire chic. Mais juste parce que je pense que cette noirceur n'est pas justifiée, et que le monde tend vers le dialogue et la paix.

  • Etre fonctionnaire

    Je suis fonctionnaire. Nombreux sont ceux qui penseront que ce n'est guère passionnant. Dans leur tête, le mot renvoie à un personne installée derrière son bureau en regardant sa montre ou alors à celui qui abuse de la situation de stabilité de l'emploi pour n'en faire qu'à sa guise, c'est à dire le moins possible.. Pour ma part, mon travail de fonctionaire me passionne. Pourquoi? Parce que j'y vois une opportunité rêvée de travailler pour le bien commun, c'est à dire pour une société plus juste, solidaire, fraternelle. Quelque soit la nature de la tâche: qu'il soit balayeur ou professeur d'université, guichetier au centre des impôts ou bien gardien d'un Parc national, ministre, médecin dans un hôpital public, il est toujours celui qui est là pour le bien de tous. Et alors tout prend un sens! On me demande d'assister à une réunion ennuyeuse? de remplir des formulaires pour préparer la pandémie de grippe? d'écrire un article scientifique? de préparer un cours? de faire un travail bureaucratique fastidieux? tout cela fait sens, car c'est une occasion d'agir pour le bien commun. Je parle souvent de cette vision du fonctionnaire avec mes collègues, et je dois dire que cette occasion d'échanger indirectement sur les valeurs de fraternité qui sous-tendent ce travail donne toujours lieu à des profonds échanges. La plupart de mes collègues partagent cette vision. C'est beau d'être fonctionnaire donc, les fonctionnaires sont un corps qui agit pour le bien de tous!

  • Darwin et la fraternité

    En ce moment, on voit partout le portrait de cet homme grisonnant et barbu, qui a l’air si calme et tranquille : en effet,  on fête le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin, né en 1809 et aussi le 150ème anniversaire de la parution de son livre majeur, « De l’origine des espèce », en 1859.  On s’étonne presque, devant son apparente bonhommie, que ses écrits aient pu déclencher une telle fureur de protestations, de passion, de sarcasmes, de débats.  Il ne faut pas oublier que Darwin est un personnage du XIXème siècle, et qu’on ne peut comprendre ses travaux, et les réactions qu’ils ont suscités, qu’à la lumière de son temps.

    Le XIXème siècle est dominé par l’idée de progrès, l’idée que tout ira de mieux en mieux (idée renforcée les progrès dans le domaine économique) et c’est dans ce contexte culturel qu’est née la théorie de l’évolution des espèces. Charles Darwin n’en est pas l’inventeur; on sait qu’il a lu l’œuvre du géologue Charles Lyell qui proposait une explication évolutive des phénomènes naturels et les travaux du naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck, pour qui le temps produisait la transformation progressive des espèces. La nouveauté proposée par Charles Darwin porte sur le moteur qui est à la base de l’évolution, répondant ainsi à la question : qu’est ce qui fait que l’évolution pousse les espèces à évoluer dans tel sens plutôt que dans tel autre ? A cette question Darwin répond : la « sélection naturelle ». Là encore, il n’est pas tout à fait le premier, car son jeune collègue Alfred Wallace était sur le point de publier des conclusions assez voisines (pour la petite histoire, on peut noter la grande honnêteté  de Darwin qui, alors même que Wallace était absent en raison d’un voyage en Malaisie, a reconnu la contribution de Wallace lors d’une lecture conjointe de leurs travaux). Darwin est une personne très prudente, et s’il publie ses conclusions en 1859, c’est après une série impressionnante de travaux sur le terrain, en particulier en se basant sur des observations qu’il a réalisées aux îles Galapagos lors d’un voyage sur le Beagle, un vaisseau chargé de relevés hydrographiques, au bord duquel il était monté en 1831 alors qu’il venait d’achever ses études de théologie. Au cours de ce long voyage, Darwin a pu étudier les légères variations qui peuvent exister au sein d’une espèce sur des îles voisines. L’idée centrale est qu’il existe deux phénomènes indépendants : d’une part la variabilité (le fait qu’au sein d’une population, les sujets peuvent être très différents les uns des autres) et d’autre part les conditions de l’environnement favorisant la reproduction des mieux adaptés à ces conditions particulières. Ainsi, s’il fait très froid, cela va favoriser la reproduction des animaux avec le plus de fourrure. Cependant, en raison de la variabilité, il restera toujours au sein de la population des animaux avec moins de fourrure, et ces derniers seront plus adaptés que les premiers si le climat se réchauffe. Ainsi, la présence des individus les moins « adaptés » est un bienfait pour la population, puisqu’elle permet son adaptation si les conditions de l’environnement changent : les plus faibles deviennent ainsi un atout sur le long terme. En plus, d’autres traits que le fourrure participent aussi à l’adaptation d’un individu, si bien qu’il se pourrait qu’un individu avec peu de fourrure possède par ailleurs une caractéristique favorable à son adaptation, comme un bon système immunitaire. Cette théorie de la sélection naturelle a été assimilée à tort à la théorie de la « survie du plus apte ». Or, il s’agit là d’une erreur d’interprétation, puisque, comme on vient de le voir, la sélection porte sur une population (un groupe d’individus, combinant plusieurs traits de variation) et non sur des individus eux mêmes.

    Cette théorie de l’évolution par sélection naturelle  a été à l’origine de bien des interprétations idéologiques, en particulier lorsque certains ont tenté d’adapter ses conclusions à l’espèce humaine. On peut évoquer le « darwinisme social »,  prôné par Herbert Spencer, penseur libéral qui défendait l’idée d’une concurrence sans règles ni limites : selon lui, puisque les individus les moins bien adaptés sont destinés à être éliminés par l’évolution, autant ne leur proposer aucun soutien. Des idées voisines étaient défendues par l’économiste Thomas Robert Malthus qui pensait qu’il ne fallait fournir aucune aide aux plus pauvres, ou par Francis Galton qui partait de ce principe pour proposer l’exclusion des plus faibles des fonctions de reproduction, ce qui correspond à l’eugénisme. Darwin n’adhérait en rien à ces interprétations qui allaient bien au-delà de sa théorie, comme en témoigne le fait que pendant 40 ans il a consacré une bonne partie de son temps à aider les plus démunis.

    Il faut noter aussi que Darwin a construit sa théorie de l’évolution par sélection naturelle en se basant sur ses observations faites aux îles Galapagos, un environnement caractérisé par une végétation luxuriante et une forte densité de la faune. Peu de temps après, un autre naturaliste, le russe Pierre Kropotkine, qui menait ses travaux dans les plaines semi-désertiques de Sibérie, proposait dans son livre « L’entraide, un facteur de l’évolution » paru en 1902 un autre moteur à l’évolution des espèces : l’entraide. En effet, dans les zones de faible densité dans lesquelles il menait ses travaux, la situation n’était pas celle d’une compétition acharnée entre individus et entre espèces, et la coopération et l’aide réciproque  apparaissent donc comme un moteur de l’évolution.

    Ainsi, la théorie de l’évolution porte en elle des idées très positives, et si un malaise a parfois pu s’installer, cela est essentiellement lié à des interprétations outrancières et idéologiquement marquées. Darwin est le fruit d’un dialogue avec d’autres penseurs de son temps, et ses idées sont loin d’aller à l’encontre d’idéaux de fraternité et de solidarité, comme certains ont pu le postuler.