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Politique

  • Le carnage

    Ces dernières heures, m’arrivent des messages de condoléance personnalisés du monde entier : de Colombie, d’Argentine, de Chine, de Tunisie, du Pakistan, de bien d’autres encore… Ils viennent de collègues, ou d’amis, qui veulent vivre avec moi ce moment de sidération douloureuse. Pourtant, je n’ai perdu personne de proche. Chacun, depuis son horizon, me dit sa solidarité face aux événements glaçants de ce 13 Novembre à Paris. Et certains de ces messages me viennent de pays si durement touchés par des faits semblables, parfois au quotidien. J’en suis émue, car je sens le monde entier en deuil, touché par la douleur de la France. Le monde entier s’est revêtu des couleurs de notee drapeau.

    Au fond de moi, le chagrin cohabite avec un examen de conscience : ai-je exprimé mes condoléances à mes amis libanais, syriens ou camerounais, lorsqu’ils ont été touchés par des événements semblables ces derniers temps, parfois au quotidien ? Me suis-je souciée d’eux ? Et un autre pourquoi, plus lancinant encore : pourquoi la France ? Est-ce, comme affirmé par Daech, en raison de l’implication de notre pays dans la guerre contre l’Etat Islamique ? De la si facile circulation des armes, qui résulte aussi de notre implication dans certaines terrains de guerre comme la Lybie ? Ou bien, comme l’affirme ce si beau commentaire publié dans le New York Times, en raison de notre façon de vivre ? Ou bien est-ce à cause de notre arrogance ? De notre conception parfois étroite de la laïcité ? De l’absence de mixité sociale dans les quartiers ? De tout cela en même temps ? D’autre chose encore ? Aucune explication ne peut atténuer notre douleur devant ces victimes innocentes, et encore moins celles de leur proches. Mais je me dis qu’un jour il faudra nous interroger sur les ressorts qui sont à l’origine de cette tragédie, de sorte à ce qu’une fois le deuil passé, une telle chose ne puisse plus se reproduire, qu’une telle haine ne puisse plus nous atteindre. Manifestement, c’est la France, comme entité, qui était visée. Peut être que, à distance des événements, un examen de conscience collectif digne et sincère, pourrait être salutaire.

  • Que révèle le slogan "Je suis Charlie" de ce que nous sommes?

    Ce qui me frappe le plus dans les formules qui ont presque spontanément envahi l’espace public suite aux terribles évènements de ce mois de janvier, c’est … leur point commun ! En effet, à la fois le très répandu slogan « Je suis Charlie », sa traduction dans d’autres langues,  les autres expressions dirigées contre les actes terroristes (« Je suis avec Charlie » mais aussi « Je suis nigérian ») ou même les anti-slogans (« Je ne suis pas Charlie », voire même le « Je suis .. » associé au nom de l’un des terroristes) partagent le fait d’être formulés à la première personne du singulier. Voilà qui contraste avec le « Nous sommes tous américains »  énoncé par Jean Marie Colombani suite aux attentats du 11 septembre 2001, ou d’autres « Nous » apparus dans le contexte de la seconde guerre mondiale.  Car un ensemble de « je » n’a pas grand chose à voir avec un « nous ». Comme si nous ne formions plus vraiment un peuple, un ensemble de personnes capables d’exprimer collectivement son horreur. Bien sûr il y a eu les impressionnantes manifestations qui ont vu défiler des millions de personnes exprimant leur horreur dans le respect de la diversité, témoignant d’une forme de réaction collective. Bien sûr aussi, cette apparition sur le devant de la scène du « Je » peut être lié au mode de propagation de ce slogan (essentiellement via les réseaux sociaux). Même si l’explication résidait là, cela pourrait signifier aussi que ces réseaux favorisent l’expression d’un « ensemble de je », ce qui est bien différent d’un « nous »..

    On pourra rétorquer qu’il y a un précédant, et évoquer le « Ich bin ein Berliner »  de John Fitzgerald Kennedy en visite à Berlin en 1963, mais le président américain faisait allusion à une citation en latin (Civis romanus sum, "je suis un citoyen romain"), ce qui est bien différent du contexte dans lequel est apparu le « Je suis Charlie ».

    Les nuances sémantiques ne sont jamais insignifiantes ou innocentes. Les choix linguistiques exercent toujours une fonction de révélateur de ce qui déjà existe, sur un mode souvent implicite. Pour résoudre un problème, une première étape est d’en prendre conscience. Voilà peut être une occasion, en partant de ce constat,  qui nous est donnée d’aller plus loin en essayant de promouvoir, à l’aide des médias et de l’éducation, cette conscience de former un peuple uni par notre triade républicaine.

  • Forum Social

    Je rentre du Forum Social Mondial à Dakar... De quoi s’agit-il ? A première vue, un joyeux et pacifique méli mélo puisque des associations, mouvements, courants d’idées aussi divers que la Caritas, Attac, l’Alliance pour Refonder la Gouvernance en Afrique, Transform’Europe, la Cimade, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde ou les Focolaris se réunissent en un même lieu pour débattre, échanger leurs idées et leurs initiatives en faveur d’une société plus juste, plus fraternelle. Pour eux, un autre monde est possible. Et non seulement les communications viennent de bords aussi différents, mais aussi  de toute la planète, de l’Inde au Brésil en passant par l’Afrique ou l’Europe. L’effervescence est garantie d’autant plus que chaque jour, on trouve quasiment 150 ateliers (et pendant 4 jours) de 3 heures sur la dignité humaine, la justice, l’égalité, l’accès à l’eau, la souveraineté alimentaire, la préservation des droits humains, la protection de l’environnement, la promotion de la démocratie, etc. C’est un laboratoire, dans lequel sont débattues des propositions comme par exemple le «Basic Income» (un revenu minimal garanti à chacun) ou le commerce équitable. Cette année, le Forum en est à sa 10ème édition, puisque cette dynamique a commencé en 2001 avec un 1er Forum à Porto Allègre (Brésil). Et, autre caractéristique de l’édition 2011: le Forum se tient à Dakar, au Sénégal.  En soi, le seul fait qu’un tel espace de discussion puisse se tenir presque tous les ans, à l’échelle mondiale, en réunissant des acteurs aussi hétéroclites tient déjà de la prouesse la plus improbable. Cependant, bien que ces éditions successives soient un réel succès (de 100 000 à 130 000 participants), l’organisation du Forum a déjà connu des crises majeures en particulier lorsqu’il y a 2-3 ans certains groupes occidentaux idéologiquement très marqués n’ont plus pu soutenir  financièrement le Forum. Mais c’est justement à partir de cette crise que le Forum a rebondi pour relever de nouveaux défis. En particulier, comme certaines causes pour les droits humains imposent le respect  de la culture des peuples traditionnels comme les Indiens d’Amazonie ou certaines ethnies africaines, lesquelles incluent des valeurs spirituelles et religieuses, les associations de tout bord ont du dialoguer avec cette composante religieuse. Un vrai défi, à la fois pour certains groupes peu enclins à s’ouvrir à cette dimension de l’Homme mais aussi pour les organisations religieuses, contraintes ainsi de se focaliser de façon plus explicite sur les contenus plus humanistes de leur foi. Ainsi, bien que la contribution du Forum consiste essentiellement à favoriser l’émergence de nouveaux concepts dans le domaine social, son impact se situe bien au-delà de ces limites, en particulier dans le domaine du dialogue entre les cultures et les convictions, qu’elles soient ou non religieuses. On peut ainsi conclure que le Forum est passé d’un débat exclusivement centré autour de nouvelles orientations sociales à un dialogue ouvert aussi aux diverses spiritualités.