Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Biologie - Page 2

  • Dépasser ses préjugés

    Je fais de la recherche dans le domaine des neurosciences comportementales, un domaine peu ouvert à la modélisation mathématique, à la fois en raison de l’insuffisance de données exploitables, mais aussi pour des raisons plus profondément idéologiques, car nous n’aimons en général pas beaucoup l’idée que le comportement humain puisse être explicable par des équations. Voilà qu’un ami, chercheur en économie, me propose de faire un modèle mathématique des hypothèses que je défends dans mon domaine. Je sens en lui beaucoup d’écoute, et d’intérêt gratuit pour ce que je fais ; je sais qu’il vit lui aussi pour un monde plus fraternel, ce qui me pousse à voir des motivations positives dans ce projet. En même temps, m’aventurer dans la direction qu’il propose est une barrière culturelle quasiment infranchissable pour moi. Je décide néanmoins d’écouter ce qu’il propose, et de me lancer dans le vide, en dépit des préjugés et des réserves, nombreuses, que j’ai par avance. Cela m’occasionne beaucoup de travail, et petit à petit, au travers de cette collaboration, je combien à quel point mon domaine est peu précis, incapable souvent de fournir les données qui seraient nécessaires. Nous aboutissons à une première ébauche, qui ne résistera guère à un argumentaire sérieux. Une seconde tentative n’aboutira pas davantage. Mais nous continuons le dialogue et finalement un troisième manuscrit se fait jour, qui sera soumis à un éditeur. Cet éclairage des mathématiques me fait voir les limites de nos travaux, car je suis incapable de répondre sérieusement à la plupart des questions qu’il pose, et en même temps, cette modélisation, avec les pauvres données que j’ai pu fournir, permet d’élaborer de nouvelles hypothèses qui viendront nourrir mon travail futur. Autrement dit, voilà un nouvel éclairage qui fait avancer ma discipline, mais qui me vient d’une autre discipline que j’aurais eu tendance de considérer comme une « ennemie ». Hier, j’ai appris que l’article avait été accepté par le journal spécialisé, et bien sûr, j’étais ravie. C’est le fruit de 5 ans d’efforts, mais je me dis que ça valait la peine de laisser tomber mes préjugés pour m’ouvrir à ce dialogue !

  • Grippe A et fraternité

    Voilà une pandémie qui, depuis la découverte des premiers cas au printemps 2009 au Mexique, a fait couler beaucoup d’encre. Les ressortissants des pays riches s’affolent et passent leur temps à débattre de sa gravité, de l’intérêt de la vaccination, etc. Bien sûr, ces réactions sont le plus souvent une illustration de l’ignorance et de l’égocentrisme le plus ridicule. Bien sûr aussi, presque tout le monde oublie les pays en voie de développement. Cet article a pour objectif de tenter d’aller un peu au-delà de l’émotionnel, pour réfléchir sur deux faits qui me semblent importants : la gravité de la grippe dans sa forme actuelle, et les risques liés à la vaccination. 

    Tout d’abord la gravité de la pandémie. Pour le moment, selon le bilan hebdomadaire de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), jusqu'au 3 janvier 2010, la grippe A/H1N1 a fait au moins 14751 morts dans plus de 208 pays et régions à travers du monde. La moitié des victimes se trouvent sur le continent américain (7513 morts, dont 2886 aux Etats Unis), un tiers en Asie (4320 morts, surtout en Inde et en Chine). L’Europe paie un tribut moins lourd (2299 morts, dont 198 en France). En Afrique, « seulement » 386 morts ont été recensés, dont 145 en Egypte, mais ces chiffres encourageants peuvent cacher une réalité qui l’est moins, à savoir que dans les pays les plus pauvres, les personnes peuvent plus fréquemment mourir de cette maladie sans que les tests permettant un diagnostic certain aient pu être réalisés. Il faudrait comparer ces chiffres avec ceux d’autres statistiques sanitaires  comme par exemple les 1,5 million d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année de diarrhée, deuxième cause de mortalité infantile après la pneumonie, selon un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ou encore au fait qu'un enfant de moins de 5 ans meure du paludisme toutes les 40 secondes en Afrique. Ou bien au fait que la tuberculose a tué 1,77 million de personnes en 2007. Ces premières indications poussent donc à relativiser l’amplitude du phénomène.

    Cependant, et c’est là le second point qu’il faudrait souligner, ce type de virus peut muter en une forme plus dangereuse, pénétrant plus facilement dans les poumons par exemple. Si donc la forme circulant actuellement est en général peu grave, une forme plus grave pourrait apparaître, qui serait particulièrement dangereuse et mortelle.  Et c’est pour cette raison que la vaccination est particulièrement intéressante. En effet, si les autorités sanitaires font une campagne si insistante sur la nécessité de vacciner le plus de personnes possible, ce n’est pas parce que l’on craint la gravité de la maladie (elle n’est actuellement guère plus dangereuse que la grippe saisonnière), mais parce qu’elles font le pari que moins il y aura de personnes infectées, moins le risque de propagation et donc de mutation de virus sera important. Si donc on conseille aux personnes de se faire vacciner, ce n’est pas tant pour qu’elles se protègent elles mêmes, mais pour qu’elles protègent les autres contre des risques encore plus graves. Agit pour le bien commun s’est donc aller se faire vacciner. Evidemment, l’idéal serait de vacciner également les populations des zones les plus pauvres du globe, et là des mesures seraient à mettre en œuvre par les organisations internationales. Mais en se vaccinant ici, on fait déjà un premier pas vers la protection des personnes des pays pauvres. Bien sûr, cette stratégie se fonde sur le pari que la vaccination du plus grand nombre freinera la propagation de virus et réduira les risques de mutation. Même si cela reste encore à prouver, et si pour certains cela revient à appliquer de façon peut être excessive le principe de précaution, c’est sans doute une attitude que l’on peut adopter !

    Si donc nous voulons êtres fraternels avec les pays les plus pauvres, nous pouvons adopter une attitude en 3 points : a) attirer l’attention des autorités sur les autres risques sanitaires auxquels les ressortissants des pays pauvres sont soumis chaque jour ; b) faire en sorte que des vaccins et des traitements contre la grippe A soient disponibles dans les pays du sud autant que chez nous ; c) accepter de nous faire vacciner, pour éviter la diffusion du virus.

  • Darwin et la fraternité

    En ce moment, on voit partout le portrait de cet homme grisonnant et barbu, qui a l’air si calme et tranquille : en effet,  on fête le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin, né en 1809 et aussi le 150ème anniversaire de la parution de son livre majeur, « De l’origine des espèce », en 1859.  On s’étonne presque, devant son apparente bonhommie, que ses écrits aient pu déclencher une telle fureur de protestations, de passion, de sarcasmes, de débats.  Il ne faut pas oublier que Darwin est un personnage du XIXème siècle, et qu’on ne peut comprendre ses travaux, et les réactions qu’ils ont suscités, qu’à la lumière de son temps.

    Le XIXème siècle est dominé par l’idée de progrès, l’idée que tout ira de mieux en mieux (idée renforcée les progrès dans le domaine économique) et c’est dans ce contexte culturel qu’est née la théorie de l’évolution des espèces. Charles Darwin n’en est pas l’inventeur; on sait qu’il a lu l’œuvre du géologue Charles Lyell qui proposait une explication évolutive des phénomènes naturels et les travaux du naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck, pour qui le temps produisait la transformation progressive des espèces. La nouveauté proposée par Charles Darwin porte sur le moteur qui est à la base de l’évolution, répondant ainsi à la question : qu’est ce qui fait que l’évolution pousse les espèces à évoluer dans tel sens plutôt que dans tel autre ? A cette question Darwin répond : la « sélection naturelle ». Là encore, il n’est pas tout à fait le premier, car son jeune collègue Alfred Wallace était sur le point de publier des conclusions assez voisines (pour la petite histoire, on peut noter la grande honnêteté  de Darwin qui, alors même que Wallace était absent en raison d’un voyage en Malaisie, a reconnu la contribution de Wallace lors d’une lecture conjointe de leurs travaux). Darwin est une personne très prudente, et s’il publie ses conclusions en 1859, c’est après une série impressionnante de travaux sur le terrain, en particulier en se basant sur des observations qu’il a réalisées aux îles Galapagos lors d’un voyage sur le Beagle, un vaisseau chargé de relevés hydrographiques, au bord duquel il était monté en 1831 alors qu’il venait d’achever ses études de théologie. Au cours de ce long voyage, Darwin a pu étudier les légères variations qui peuvent exister au sein d’une espèce sur des îles voisines. L’idée centrale est qu’il existe deux phénomènes indépendants : d’une part la variabilité (le fait qu’au sein d’une population, les sujets peuvent être très différents les uns des autres) et d’autre part les conditions de l’environnement favorisant la reproduction des mieux adaptés à ces conditions particulières. Ainsi, s’il fait très froid, cela va favoriser la reproduction des animaux avec le plus de fourrure. Cependant, en raison de la variabilité, il restera toujours au sein de la population des animaux avec moins de fourrure, et ces derniers seront plus adaptés que les premiers si le climat se réchauffe. Ainsi, la présence des individus les moins « adaptés » est un bienfait pour la population, puisqu’elle permet son adaptation si les conditions de l’environnement changent : les plus faibles deviennent ainsi un atout sur le long terme. En plus, d’autres traits que le fourrure participent aussi à l’adaptation d’un individu, si bien qu’il se pourrait qu’un individu avec peu de fourrure possède par ailleurs une caractéristique favorable à son adaptation, comme un bon système immunitaire. Cette théorie de la sélection naturelle a été assimilée à tort à la théorie de la « survie du plus apte ». Or, il s’agit là d’une erreur d’interprétation, puisque, comme on vient de le voir, la sélection porte sur une population (un groupe d’individus, combinant plusieurs traits de variation) et non sur des individus eux mêmes.

    Cette théorie de l’évolution par sélection naturelle  a été à l’origine de bien des interprétations idéologiques, en particulier lorsque certains ont tenté d’adapter ses conclusions à l’espèce humaine. On peut évoquer le « darwinisme social »,  prôné par Herbert Spencer, penseur libéral qui défendait l’idée d’une concurrence sans règles ni limites : selon lui, puisque les individus les moins bien adaptés sont destinés à être éliminés par l’évolution, autant ne leur proposer aucun soutien. Des idées voisines étaient défendues par l’économiste Thomas Robert Malthus qui pensait qu’il ne fallait fournir aucune aide aux plus pauvres, ou par Francis Galton qui partait de ce principe pour proposer l’exclusion des plus faibles des fonctions de reproduction, ce qui correspond à l’eugénisme. Darwin n’adhérait en rien à ces interprétations qui allaient bien au-delà de sa théorie, comme en témoigne le fait que pendant 40 ans il a consacré une bonne partie de son temps à aider les plus démunis.

    Il faut noter aussi que Darwin a construit sa théorie de l’évolution par sélection naturelle en se basant sur ses observations faites aux îles Galapagos, un environnement caractérisé par une végétation luxuriante et une forte densité de la faune. Peu de temps après, un autre naturaliste, le russe Pierre Kropotkine, qui menait ses travaux dans les plaines semi-désertiques de Sibérie, proposait dans son livre « L’entraide, un facteur de l’évolution » paru en 1902 un autre moteur à l’évolution des espèces : l’entraide. En effet, dans les zones de faible densité dans lesquelles il menait ses travaux, la situation n’était pas celle d’une compétition acharnée entre individus et entre espèces, et la coopération et l’aide réciproque  apparaissent donc comme un moteur de l’évolution.

    Ainsi, la théorie de l’évolution porte en elle des idées très positives, et si un malaise a parfois pu s’installer, cela est essentiellement lié à des interprétations outrancières et idéologiquement marquées. Darwin est le fruit d’un dialogue avec d’autres penseurs de son temps, et ses idées sont loin d’aller à l’encontre d’idéaux de fraternité et de solidarité, comme certains ont pu le postuler.