Ce qui me frappe le plus dans les formules qui ont presque spontanément envahi l’espace public suite aux terribles évènements de ce mois de janvier, c’est … leur point commun ! En effet, à la fois le très répandu slogan « Je suis Charlie », sa traduction dans d’autres langues, les autres expressions dirigées contre les actes terroristes (« Je suis avec Charlie » mais aussi « Je suis nigérian ») ou même les anti-slogans (« Je ne suis pas Charlie », voire même le « Je suis .. » associé au nom de l’un des terroristes) partagent le fait d’être formulés à la première personne du singulier. Voilà qui contraste avec le « Nous sommes tous américains » énoncé par Jean Marie Colombani suite aux attentats du 11 septembre 2001, ou d’autres « Nous » apparus dans le contexte de la seconde guerre mondiale. Car un ensemble de « je » n’a pas grand chose à voir avec un « nous ». Comme si nous ne formions plus vraiment un peuple, un ensemble de personnes capables d’exprimer collectivement son horreur. Bien sûr il y a eu les impressionnantes manifestations qui ont vu défiler des millions de personnes exprimant leur horreur dans le respect de la diversité, témoignant d’une forme de réaction collective. Bien sûr aussi, cette apparition sur le devant de la scène du « Je » peut être lié au mode de propagation de ce slogan (essentiellement via les réseaux sociaux). Même si l’explication résidait là, cela pourrait signifier aussi que ces réseaux favorisent l’expression d’un « ensemble de je », ce qui est bien différent d’un « nous »..
On pourra rétorquer qu’il y a un précédant, et évoquer le « Ich bin ein Berliner » de John Fitzgerald Kennedy en visite à Berlin en 1963, mais le président américain faisait allusion à une citation en latin (Civis romanus sum, "je suis un citoyen romain"), ce qui est bien différent du contexte dans lequel est apparu le « Je suis Charlie ».
Les nuances sémantiques ne sont jamais insignifiantes ou innocentes. Les choix linguistiques exercent toujours une fonction de révélateur de ce qui déjà existe, sur un mode souvent implicite. Pour résoudre un problème, une première étape est d’en prendre conscience. Voilà peut être une occasion, en partant de ce constat, qui nous est donnée d’aller plus loin en essayant de promouvoir, à l’aide des médias et de l’éducation, cette conscience de former un peuple uni par notre triade républicaine.