Je fais de la recherche dans le domaine des neurosciences comportementales, un domaine peu ouvert à la modélisation mathématique, à la fois en raison de l’insuffisance de données exploitables, mais aussi pour des raisons plus profondément idéologiques, car nous n’aimons en général pas beaucoup l’idée que le comportement humain puisse être explicable par des équations. Voilà qu’un ami, chercheur en économie, me propose de faire un modèle mathématique des hypothèses que je défends dans mon domaine. Je sens en lui beaucoup d’écoute, et d’intérêt gratuit pour ce que je fais ; je sais qu’il vit lui aussi pour un monde plus fraternel, ce qui me pousse à voir des motivations positives dans ce projet. En même temps, m’aventurer dans la direction qu’il propose est une barrière culturelle quasiment infranchissable pour moi. Je décide néanmoins d’écouter ce qu’il propose, et de me lancer dans le vide, en dépit des préjugés et des réserves, nombreuses, que j’ai par avance. Cela m’occasionne beaucoup de travail, et petit à petit, au travers de cette collaboration, je combien à quel point mon domaine est peu précis, incapable souvent de fournir les données qui seraient nécessaires. Nous aboutissons à une première ébauche, qui ne résistera guère à un argumentaire sérieux. Une seconde tentative n’aboutira pas davantage. Mais nous continuons le dialogue et finalement un troisième manuscrit se fait jour, qui sera soumis à un éditeur. Cet éclairage des mathématiques me fait voir les limites de nos travaux, car je suis incapable de répondre sérieusement à la plupart des questions qu’il pose, et en même temps, cette modélisation, avec les pauvres données que j’ai pu fournir, permet d’élaborer de nouvelles hypothèses qui viendront nourrir mon travail futur. Autrement dit, voilà un nouvel éclairage qui fait avancer ma discipline, mais qui me vient d’une autre discipline que j’aurais eu tendance de considérer comme une « ennemie ». Hier, j’ai appris que l’article avait été accepté par le journal spécialisé, et bien sûr, j’étais ravie. C’est le fruit de 5 ans d’efforts, mais je me dis que ça valait la peine de laisser tomber mes préjugés pour m’ouvrir à ce dialogue !
Fraternité - Page 6
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Dépasser ses préjugés
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Les soldes
J'ai été bien silencieuse sur le blog ces derniers temps.. mais voici qu'une amie m'a envoyé un fait vécu, que je m'empresse de vous partager, puisqu'il parle de fraternité.
"Voilà ce que me suggère la fraternité : parfois, cela se vit très simplement dans des petites choses de la vie courante et je suis surprise de voir après coup, que cela change subtilement les choses autour de moi. Par exemple :
J’avais décidé de profiter de la période des soldes pour compléter ma garde-robe, et comme souvent, j’avais fait quelques essayages sans donner suite. C’est alors qu’une amie m’a proposé de m’accompagner et de m’aider à trouver, ayant elle aussi un achat à faire. En réalité, elle s’est surtout occupée de mes vêtements et, d’un magasin à l’autre nous avons essayé, puis déjeuné ensemble, puis repris les courses une bonne partie de l’après-midi.
J’ai pu constater que l’écoute réciproque, l’attention à l’autre, l’expression de ses besoins et le désir d’aller jusqu’au bout nous avait donné le plaisir de faire des choses ensemble, mais aussi m’a poussée à faire les achats nécessaires, m’a fait bénéficier de la capacité de mon amie à anticiper, ce qui m’a permis de faire des achats qui seront très utiles pour un séjour à l’étranger cet automne, le tout à un prix très avantageux. A son retour chez elle, mon amie a eu la joie de trouver un colis qui l’attendait avec toute une commande de vêtements qu’elle avait faite quelques temps auparavant.
Quelques jours après, elle s’est à nouveau proposé de venir m’aider, cette fois-ci pour trier mes anciens vêtements : que garder, comment harmoniser l’ancien et le nouveau, que donner, à qui etc.
De retour à mon travail quelques jours plus tard, j’ai raconté cela à mes collègues, qui, ayant déjà constaté que j’avais reçu une séance chez le coiffeur en cadeau d’anniversaire, en ont conclu que j’avais un « coach »… Et depuis -est-ce l’effet du hasard ?- je trouve une harmonie particulière dans leur façon de s’habiller et d’associer couleurs et matières ou vêtements et accessoires, ce qui me donne de multiples occasions de porter moi aussi sur elles un regard valorisant en les complimentant.
Une seconde amie, venue chez moi, en profite pour essayer un de mes ancien vêtements, mis de côté pour elle sur la suggestion de la première … A ma grande surprise il lui va très bien ! Entendant cette histoire, elle me raconte elle-même une anecdote analogue : elle vient d’accepter d’aller avec une de ses collègues acheter un vêtement durant leur pause, avec le désir de lui accorder toute son attention, remettant à plus tard l’achat d’un cadeau qu’elle voulait faire. Le choix du vêtement a été très heureux, changeant un peu de style sa collègue, qui depuis, s’habille d’une façon qui la met plus en valeur. De surcroît, mon amie a trouvé elle aussi en même temps le cadeau qu’elle cherchait et qui a beaucoup plu à son destinataire."
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A l'hôpital
La semaine dernière, alors que je suis pour deux jours dans ma famille, je vais rendre visite à Lucienne, une cousine germaine de maman, à l’hôpital. Il s’agit d’une femme de 87 ans, sans mari ni enfants. Son unique frère aussi est décédé si bien que sa belle sœur est sa plus proche parenté. Elle vit dans une maison de retraite, mais est hospitalisée depuis quelques semaines suite à une détresse respiratoire. Elle est couchée dans son lit, vêtue d’une chemise de nuit et d’une robe de chambre. Je remarque qu’à ses pieds, il y a des sur-chausses chirurgicales. Elle ne se plaint pas et, malgré son désarroi, est d’une remarquable dignité. A un moment, je comprends que dans l’urgence de son hospitalisation, tout a été oublié : elle n’a ni chaussons, ni peigne, ni serviette de bain, ni chemise de nuit de rechange. Personne, de son proche entourage, n’a constaté ce qui manquait. Une voix au fond de moi (sans doute ma conscience) me dit d’aller d’urgence acheter des chaussons, puis de solliciter ma maman et ma marraine pour trouver le reste. Une petite chaîne de solidarité se tisse ainsi, et je sens chacun heureux. En 24h, je vais 3 fois à l’hôpital. Chaque fois, Lucienne me remercie de ce que je lui apporte de nouveau. J’ai vraiment le sentiment d’une rencontre de plus en plus profonde. Pourtant, il n’y a que peu de paroles, mais des regards, un silence, une paix, un sourire. J’habite à 750 km de là, et il me faut donc rentrer chez moi le soir même. Je suis envahie d’une joie profonde. Moins, d’une semaine après, Lucienne est décédée. J’en suis bouleversée ! Et si je n’avais pas écouté cette voix qui me disait de me soucier de Lucienne ?